Hier, je clamais bêtement que les cours de religion relevaient de la sphère privée et devaient donc être pris en charge au choix des parents, en dehors de l'école. Le cours de religion doit donc être donné à l'église, à la mosquée, … là où le ministre du culte pourra instruire l'élève.

J'ai donc dit que mes enfants, s'ils doivent choisir, auront « cours de rien ».

Puis j'observe le « vivre-ensemble ».
Est-ce que ça marche ?
Les gens qui m'entourent arrivent-ils à cohabiter ?

Si j'oublie un moment Charlie et que je ne regarde pas (trop) dans les écoles, le « vivre-ensemble » fonctionne bien. Ça fonctionne bien parce qu'il n'y a finalement pas (plus) de dialogue convictionnel1. Si hier les convictions religieuses relevaient du privé, aujourd'hui elles me semblent devenues taboues. Je parle (rarement) de mes convictions avec mes (très) proches et (quasi) jamais avec mes collègues ou connaissances.

Dès lors que l'on aborde le sujet, on prend le risque de se heurter à des certitudes. Quelqu'un « sûr de lui » restera campé sur ses positions. J'ai peur de celui qui assène des certitudes. Où est le dialogue ? Pourtant, toutes les religions reposent sur la bienveillance. Toujours elle. Alors, cette bienveillance qui conseille d'être à l'écoute de l'autre et de ses convictions devrait être au centre de la discussion convictionnelle. Cette écoute bienveillante ouvre au dialogue et permet d'enrichir ses convictions de celles de l'autre et d'affiner ses croyances. Et pourtant, il y a eu Charlie. C'est un fait. Si les réactions publiques ont été unanimes, dans les couloirs on constate une zone un peu grise quand même.

Finalement ce « cours de rien », ce cours de religion et ce cours de morale m'intéressent.

Si les convictions relèvent de la sphère privée, la découverte et l'apprentissage des religions doit se faire au sein de l'école. Condorcet dit que c'est le rôle de l'école de transmettre des savoirs. L'école me donne accès à l'instruction. Cette instruction me permettra de me construire et de penser par moi-même. L'école n'a pas pour rôle de m'inculquer des valeurs. Elle n'a pas pour rôle de définir mon identité politique ou idéologique. Elle doit simplement m'aider à devenir un citoyen.

L'école transmet des savoirs, pas des valeurs. Les valeurs —vaste sujet— sont développées par ma libre pensée2 sur base de mes connaissances. Au niveau convictionnel, c'est moi qui me forge mes convictions. Elles ne doivent pas m'être inculquées. Je me construis avec ce que j'apprends et ce que je connais. Toutes ces connaissances, je les acquiers au fil des rencontres et des dialogues avec mes parents, mes enseignants et mes amis. Les gens que je côtoie.

Parmi eux, les enseignants sont ceux qui vont me donner accès au savoir brut, neutre.

— 2 + 2 = 4
— L'accent circonflexe disparait sur les lettres « i » et « u »
— « En biologie, l’évolution est la transformation des espèces vivantes qui se manifeste par des changements de leurs caractères génétiques et morphologiques au cours des générations. (…) » Extrait de la Théorie de l'évolution.

Tout en restant neutre, sans faire de prosélytisme, l'enseignant a le droit de montrer une certaine identité. Je suis noir3. Je suis un homme blanc et hétéro. Je suis féministe. Je préfère Linux à Windows. Je suis Charlie. J'ai peur des chiens … L'enseignant peut montrer qu'il est un citoyen avec ses peurs, ses croyances, ses convictions, ses valeurs morales, ses qualités et ses défauts.

C'est cette différence, cette humanité —l'enseignant est un humain comme les autres— qui peut engendrer le dialogue raisonné avec l'autre. Je pense par moi-même et mon contact avec les autres m'apprend à penser autrement.

Inutile donc d'introduire un cours de citoyenneté qui sera forcément fourre-tout. Il suffit de remplacer les cours de religion et de morale par un cours commun de philosophie.

Édouard Delruelle prétend que le cours de philosophie permet (je cite):

  • la connaissance des normes (et non des valeurs) fondamentales de notre société (notamment cette norme fondamentale selon laquelle la loi de l'État est supérieure à quelque loi religieuse);
  • la culture de l'esprit critique;
  • le dialogue interconvictionnel.

Moi, je suis partant pour un cours de philosophie …


Ce billet est une réflexion suite à la décision de la Cour Constitutionnelle belge du 12 mars 2015 de permettre aux parents de demander une dispense du cours de religion ou de morale et à l'annonce de l'instauration d'un cours de citoyenneté. Il suit également deux articles de la revue PROF 26; « Neutralité ou Bienveillance » de Laurent De Briey et « Cours philosophiques: qui a peur … de la philosophie ? » de Édouard Delruelle.

Crédit photo chez Flickr par Edson Hong. Jordan, une petite fille qui prie.


  1. Je viens d'apprendre le mot à la lecture des deux articles de références. Mon correcteur ne le connait pas par contre. 

  2. C'est très « centre laïque » cette expression. J'ai toujours peur qu'elle soit mal comprise. Pour moi, la libre pensée, est l'action de penser librement. Point. Ce n'est pas un dogme ni une obligation a penser librement … c'est-à-dire sans l'aide d'une religion. Ma liberté de penser doit être totale. C'est là où personne ne vient, là où il n'y a aucune barrière. 

  3. Oui bon, d'accord, mauvais exemple.