Huit heures. Ma garde est terminée. Il fait beau. C'est un dimanche d'été. C'est devenu une habitude maintenant, quand je termine le samedi ou le dimanche matin, je fais un crochet par la boulangerie. J'apporte le déjeuner.

Je monte sur ma moto. Je ne rentre pas directement porter les petits pains au chocolat, je vais faire quelques détours par les petits chemins histoire de rouler un peu et de profiter des premiers rayons de soleil. Le bip ne sonnera pas. C'est calme, je n'entends que le bruit des sorties Arrow qui chauffent doucement.

Un garde ambulance ne compte parfois aucune sortie et je reste à la caserne 24h. J'en profite pour m'avancer pour l'école ou dans divers projets. Je fais ma veille technologique. D'autres fois, les sorties s'enchainent. Des accidents domestiques ou professionnels : une chute d'échelle, un enfant coupé en cassant un vase, un pouce arraché par une machine. Des malades plus ou moins jeunes : checkup à l'hôpital car on ne sait pas très bien ce qu'ils ont, malade qui fait son infarctus ou son AVC, enfant brulant voire inconscient, crise d'asthme, dépressif qui a pris des médicaments. Des personnes âgées appelées affectivement petits vieux qui sont généralement en dégradation de l'état général simplement parce que la machine s'use. Des polytraumatisés : accident de la route en voiture, en vélo, en mobilette. Les sorties de fin de soirées qui se terminent au choix: en bagarre dans un café, dans le canal « Oups ! J'ai glissé. », à moitié inconscient, endormi dans l'herbe froide de l'hiver sur l'esplanade. Un transfert d'un malade vers un autre hôpital. Et les morts. Pendus qu'il faut dépendre, petit vieux mort dans son sommeil, accident de la route. C'est à la fois varié et répétitif. Je mets le patient en condition avec l'aide de mon collègue. Le transport vers l'hôpital doit se passer au mieux.

Une sortie ambulance, c'est agréable parce que l'on se sent utile. Je sais que je rends service aux gens. Le patient n'a jamais envie d'être là mais il est content de nous voir ! Parfois c'est son entourage que l'on sent soulagé lorsque l'on arrive.

Tout n'est pas rose hein ! Je n'aime pas les gens qui puent, les bitus et ceux qui sont désagréables. Faut pas déconner. Ceux là, j'essaie de les oublier. Puis, le fait d'être à deux, ça relativise beaucoup. Ça fait de chouettes souvenirs parfois.

Outre les gardes ambulances qui sont (maintenant) complètement planifiées, être pompier, c'est remettre ses disponibilités pour les interventions pompiers, accepter des remplacements de garde ambulance et ne pas oublier de se rendre aux divers recyclages.

Le temps.

Je pensais que j'en avais plein. Mon travail me permet de travailler à la maison — Enseignant, fainéant ! — je peux donc être disponible en journée. Et bien non ! Mes journées ne font que 24h comme les vôtres. Je ne parviens pas à dégager du temps pour tout ce que je voudrais faire. Comme tout le monde, c'est trop court. J'ai dû faire le constat que je n'avais pas le temps d'aller rouler en moto par exemple. Et c'était trop triste de la voir pourrir sous sa bâche.

J'ai vendu ma moto.

Seuls les pompiers renseignés comme disponibles sont susceptibles d'être bipés (ce n'était pas le cas avant). Il est donc important de veiller à « être renseigné disponible » dans le système le plus souvent possible. On pourra alors partir en intervention.

Une intervention pompier. Même si c'est trop peu fréquent pour moi, j'aime. J'aime ; faire un balisage, tenir la lance, rencontrer les gens chez qui on fait des nids de guêpes, jouer avec l'élévateur (qui est maintenant une auto-échelle), découper une voiture, aller en renfort citerne, aider un p'tit vieux à se relever, faire un tour dans les égouts de la ville à la recherche d'une odeur, me mettre dans un four juste pour voir si l'équipement tient le coup, tronçonner quelques branches qui gênent dans un camping en pleine tempête, éteindre un feu de cheminée, balayer l'A8 à 3h du matin et… aller au feu.

Aller au feu.
Aller au feu.

Lorsqu'il y a des grandes flammes, que l'équipement est bien en place, entrer dans le bâtiment pour l'éteindre — pulsing penciling — ou arroser pour empêcher la propagation de l'incendie, c'est ce que l'on aime (quasi) tous le plus. Malheureusement — je devrais dire heureusement mais alors, je ne serais pas pompier — ça n'arrive pas souvent. Il y a globalement peu d'incendies avérés. Et il faut se débrouiller pour être efficace et professionnel alors que ce sont des gestes que l'on répète peu. Il faut prendre le temps de participer aux exercices. Un exercice pompier par mois qui s'ajoute aux recyclages.

Le temps.

J'ai démissionné.
Je ne suis plus pompier.

Je rentre du travail. Je descends du train et me dirige vers le bus. Pin pon. J'entends la sirène. Pin pon. L'ambulance s'approche. À force, on reconnait les sirènes et celle-là, c'est l'ambulance. Pin pon. Elle passe devant moi. C'est Philippe et Magali. Bonne course les gars.

Je me dirige vers le bus. J'ai du temps il parait. Je pense à mes collègues. Julien, Virginie, Thibaut, Lionel, Thierry. J'ai rarement rencontré des gens aussi différents les uns des autres et qui, pourtant, partagent « ça ». André, Ben, Didier, Olivier, Michael. Parce que pompier, c'est un peu indescriptible et tu n'en ressors pas indemne. Johan, John, Jérôme, Dimitri. Tu rencontres des gens que tu aimes ou que tu hais mais avec qui tu es sur la route la nuit en direction de l'hôpital dans lequel ton passager va recevoir « son stent ». Patrick, David, Jérémy, Benjamin, Grégory. Des gens que tu aimes ou que tu hais et avec lesquels tu entreras dans une maison en feu. Romain, Cédric, Séastien, Xavier. Des gars avec qui tu passeras 24h à « attendre » l'appel. Fatalement, ça crée des liens. Jonathan, Axel, Joël, Bruno. En dix ans, je n'ai que de bons souvenirs. Frédéric, Jean-Claude, François, Mélanie. Il y a bien sûr des coups de gueule et des désaccords. Pour ma part, c'est très vite oublié. Dès que l'on est dans le camion. Éric, Michel, Alain, Jean-Pierre.

Je rentre à la maison. Il fait calme. Le bip ne sonnera pas.


La photo est de moi et, pire, c'est moi ;-)