Je me promène sur la plage en ce bel après-midi. Je porte ma soutane car je n'aurai pas le temps de me changer aujourd'hui avant l'office de cette après-midi. Ce ne sera pas un office à proprement parler, c'est la fête du village et le maire et ses conseillers viennent à l'église. Même si la célébration est assez festive, c'est l'occasion pour moi de faire un petit discours sur la vie de la cité. La séparation de l'état et de l'église a ceci de bon que je peux me permettre d'être un peu piquant avec les élus et de leur rappeler leurs devoirs.

— L'an dernier, Monsieur le maire, vous m'aviez dit que l'on était au bord du gouffre. Cette année, vous vous êtes montré rassurant me disant que l'on avait fait un grand pas en avant ! Tout va bien. Ce n'est pas la chute qui fait mal.

Même s'il fait chaud et que je préfèrerais me promener en maillot et me baigner, ce n'est pas bien grave, je profite du peu de temps dont je dispose. J'aime beaucoup marcher pieds nus dans le sable. J'aperçois au loin Céline, seins nus, l'eau jusqu'à la taille. Elle vient souvent à la messe du Samedi soir, jamais le Dimanche. Elle s'est toujours baignée comme ça arguant que la taille de ses seins n'exigeait aucun support. C'est en tout cas ce qu'elle m'avait confié après la messe de Noël l'an dernier si je me souviens bien. Avoir fait vœu de chasteté ne m'empêche pas d'apprécier le spectacle. Un ami d'enfance à l'humour épais et n'ayant ni compris ni accepté mon choix de vie me dirait que ce n'est pas parce que l'on est au régime que l'on ne peut pas regarder le menu. Parfois, je suis ses conseils.

Quelques enjambées plus loin, Burhan, l'épicier du quartier me salue. Il est accompagné de sa femme que j'aperçois de loin. Il m'a dit avoir dû insister plusieurs années pour que Kamilah pose un pied sur la plage. Sous prétexte que sa maman n'y avait jamais été, elle ne voulait pas. Le poids de son éducation peut parfois être un fardeau. En même pas quelques mois, elle est devenue une excellente nageuse et, vêtue d'un burkini bleu clair, elle s'aventure même assez loin en mer. C'est passionnant d'observer son entourage. Je suis convaincu que les gens ne changent pas foncièrement mais que la vie les façonne doucement. Lentement. J'aime à penser que c'est vers un mieux. Je suis un optimiste naïf. Je cumule.

« Hé, le curé ! ». C'est Corentin et ses copains qui m'interpellent. Ils s'attendent toujours à ce que je vienne leur serrer la main et je n'y manque jamais. La première fois que je l'ai rencontré, il avait à peine six ans, et voulait participer à la messe qui avait lieu lors de ma visite du camp du Patro. Ses parents n'étaient pas pratiquants — ils ne le sont toujours pas d'ailleurs — et Corentin préfèrait essayer la messe catholique plutôt que la prière musulmane ou le moment de recherche de sens laïque. Chaque enfant peut choisir et c'est bien ainsi. Il n'a pas été trop convaincu, n'est jamais venu à l'église et, depuis quinze ans maintenant, il ne manque jamais de me saluer. Ça me convient.

Ça me permet de prendre un peu de ses nouvelles.
Ça me permet de prendre un peu de leurs nouvelles.

Leur groupe est assez hétéroclite, représentatif de notre époque. Corentin ne semble avoir aucune conviction religieuse et n'est pas un laïc aux sens exacerbés. Il s'en fout, c'est tout. Leyla à sa gauche, est musulmane pratiquante. Elle porte le voile uniquement sur son lieu de travail, elle estime que ça fait partie de l'uniforme qu'elle a choisi de porter pour aller travailler. Avec ses amis, elle n'en ressent pas le besoin et fait souvent une queue de cheval. Toujours avec un élastique de couleur. Eytan est celui qui pousse le plus loin ses études. Si je compte bien, il en a encore pour deux ans après cette année. Vétérinaire. C'est un beau métier. Il ne se sépare jamais de sa kippa comme certains jeunes de leur casquette. Toujours vissée sur la tête. On ne sait pas s'il porte sa kippa par conviction ou par habitude. Il ne parle jamais de religion. C'est privé. Surtout pas quand Corentin se lance dans ses comparaisons entre les trois livres. Comparaisons qu'il conclut toujours par un; « Au début, c'est de toute façon la même histoire. Alors… ».

La prière à la mosquée doit se terminer maintenant. J'ai préféré ne pas y aller pour ne pas que le discours de l'imam m'influence. C'est bientôt à mon tour, je vais aller préparer l'église. Cette petite promenade m'aura fait du bien.


Crédit photo chez DeviantArt par aharvik. J'ai d'abord cherché des photos de plage. Il y en a des tonnes. Puis j'ai ajouté "topless" et "burkini". Il n'y en a aucune. Et en regardant "beach topless", j'ai perdu du temps.Finalement j'aime beaucoup cette photo et celle-là avec laquelle j'ai hésité.