— T'as vu comme il a gueulé ?
— Ouais, il avait l'air vraiment fâché.

Je rentrais de l'école à vélo avec deux de mes potes. L'un des deux a une mobilette et pour ne pas trop se fatiguer dans les montées, il nous tire. C'est cool.

Mon pote à vélo était à droite de la mobilette et moi à gauche. En pleine gauche. Arrivés en haut de la montée, le pote à mobilette a coupé les gaz et nous sommes partis plein pot dans la descente. Mon pote à droite de la rue et moi à gauche. En pleine gauche.

Cheveux au vent, la vitesse grisante, on se regarde en rigolant. Ça va vite. Soudain. Avant de traverser le pont-levis, je regarde devant moi et vois une voiture arriver en sens inverse. Un coup de guidon sur la droite et l'on se croise de justesse. J'ai eu chaud mais je m'en fous. Je suis invincible.

J'ai 14 ans.

Damned ! La voiture fait demi-tour et nous rattrape. Le chauffeur sort et nous tance vertement. Il nous engueule bien quoi. Sur le coup nous ne disons rien et — à peine le chauffeur parti — on se marre. Ben oui, on est invincibles.

10 ans plus tard.
20 ans plus tard.
30 ans plus tard.

Je me souviens toujours de cette aventure. Avec le recul, je sais maintenant qu'il était fâché parce qu'il avait eu peur. Quand les adultes se fâchent sur les enfants c'est souvent parce qu'ils ont eu peur. Ce serait tellement plus simple de le dire mais c'est une autre histoire.

Beaucoup d'entre nous avons une histoire comme celle-là à raconter; se faire engueuler pour avoir traverser sur les rails du train, se faire suivre jusqu'à la maison pour qu'un chauffeur nous apprenne que l'on ne tourne pas à gauche à vélo lorsqu'une voiture commence à te dépasser, s'entendre dire par un adulte qu'il est temps de rentrer chez soi parce qu'il est tard maintenant…

Les adolescents étaient plus souvent dans la rue jadis; pour jouer avec les amis, aller à vélo au sport, discuter à la plaine de jeux… Pas uniquement que l'on avait moins peur des méchants ou parce que c'est — évidemment — la faute aux jeux vidéos si les enfants ne sortent plus, mais aussi car les adultes étaient plus attentifs aux autres. En général. Aux enfants qui ne sont pas les leurs. N'y avait-il pas un esprit collectif où (tous) les adultes encadraient (tous) les adolescents ?

Je peux laisser mon enfant en rue parce que les autres adultes se sentiront responsables aussi.

Je ne ferai pas n'importe quoi parce que les adultes autour de moi m'observent comme mes parents.

Pourquoi a-t-on perdu cet esprit citoyen collectif ?
Est-ce qu'il y a plus de risque qu'un adolescent nous agresse parce que l'on fait une remarque ? Doit-on (encore) prendre ce risque ? Est-ce que ça vaut la peine ?

Poser la question, c'est peut-être y répondre.


Crédit photo chez unsplash par Seth Doyle. Le vélo entre potes, c'est bien.