— Ça gueule chez les Pignon ?

Mon entourage commence à savoir que l'on essaie de parler avec bienveillance à nos enfants. Et pas qu'à eux car ça n'a pas de sens de vouloir éduquer ses enfants avec bienveillance et ne pas considérer ses pairs comme des humains dignes de respect, d'écoute voire doués de l'intelligence suffisante pour nous comprendre1.

Bref, ceux qui m'entourent savent que « Le livre vert » (qui n'est plus vert) et « Cessez d'être gentil, soyez vrai » sont mes deux livres de chevet. Non pas que je les bassine avec ça mais ils le savent.

— Évidemment que ça gueule. Et plus souvent qu'à notre tour ! Mais on gueule avec bienveillance, dis-je.
— …, rétorque-t-elle la bouche ouverte.

Manifestement, crier et parler avec bienveillance ne semblent pas aller de paire. Même si ça peut surprendre, ça n'est pas incompatible pour moi.

Crier. Gueuler.

Crier, c'est une manière de marquer (fortement) son désaccord, son énervement voire son exaspération lorsque les choses ont déjà été dites et redites. Manifestement tu ne m'entends pas lorsque je parle alors je le crie.

Avec bienveillance.

Éduquer avec bienveillance, c'est fatiguant. Non, c'est épuisant. C'est un engagement à long terme. C'est un pari sur l'avenir. Il est bien plus facile de tapper dessus. Je caricature (bien sûr). Lorsque je dis ça, je ne pense pas à physiquement frapper mes enfants (quoique), mais à simplement les éteindre2. C'est possible. C'est facile. Il suffit de les habituer à ne pas écouter leurs sentiments, décider pour eux et punir dès qu'ils sortent des rails. C'est une autorité basée sur le pouvoir. Ça marche… un temps. Ce seront des bons soldats. Je dis. Tu obéis sinon je punis. C'est tout. Bien sûr, ils risquent de perdre un peu en spontanéité. Lorsqu'ils voudront sortir des rails, ils le feront en cachette tandis que s'ils n'ont pas peur, ils expérimentent frontalement. Mais c'est le prix de la tranquillité. Chacun fait son choix (enfin ce qu'il peut).

Crier avec bienveillance, ce n'est pas crier en « tu ». Imaginons que nous ayons un problème avec la gestion des boites à tartines au retour de l'école.

— Tu oublies tout le temps de ranger ta boite à tartines. C'est pourtant pas compliqué d'y penser. Tu ne penses quand même à rien.

Crier avec bienveillance, c'est exprimer ce qui nous énerve — parce que si l'on crie c'est que l'on est énervé — en étant vrai, en exposant des faits et en disant (éventuellement) pourquoi ça nous énerve. J'exprime ce que je ressens, je dis ce qui m'énerve et pas qui m'énerve.

Lorsqu'une envie de crier me prend (!), j'utilise ce schéma (je me suis entrainé sinon, ça ne vient pas dans l'énervement);

Situation - sentiment - besoin - demande.

— Les boites à tartines ne sont pas rangées. Ça m'énerve de ne pas les trouver à leur place le matin. Je n'ai pas le temps de les chercher sinon on est en retard. Il faut les ranger dès que vous rentrez.

C'est long ?

C'est valable pour les premières fois où l'on crie — oui, on sera encore amené à crier — ensuite le message peut être raccourcit. Ce n'est pas parce qu'ils ne rangent pas leur boite à tartines qu'ils ne savent pas qu'il faut le faire ! Les rascals. Ils oublient ou reportent (un peu comme nous). Tiens, tu as payé la dernière facture du téléphone ?

— Il faut ranger les boites à tartines dès que l'on rentre. C'est important, vous le savez tous.

Je n'ai pas donné de fessée ni fait copier « Je dois ranger ma boite à tartines ». Je sais qu'à force, ça va rentrer en ajoutant une pincée d'autonomie. Les tartines peuvent se retrouver dans un essuie-tout dans le cartable et être écrasées, ce n'est pas mon problème. Ils peuvent courir le matin, la brosse à dent dans la bouche, à la recherche de la fameuse boite pour qu'elle reçoive leurs tartines, ce n'est pas mon problème.

Le message est de plus en plus court. À force on en perd la voix. La millième fois…

— Les boites à tartines. Bordel !

On peut être bienveillant et être un peu grossier.


Crédit photo chez Gratisography. Elle n'a pas la bave aux lèvres ni la bouche ouverte, mais ses yeux en disent long.


  1. Si ça parrait sarcastique, c'est parce que je pense aux politiques et à la pub qui ont tous deux la fâcheuse habitude de nous prendre pour des abrutis mais c'est une autre histoire. 

  2. Extrait d'un article à lire: « Il est très facile d’avoir un enfant sage. Il suffit dès tout petit de ne pas l’écouter, de ne pas l’entendre, de ne pas répondre à ses demandes. L’enfant saisit très vite que ce n’est pas la peine d’appeler, car personne ne vient. Il refoule ses émotions, une partie de lui s’éteint. Il ne saura plus qui il est, quels sont ses besoins et ne demandera plus rien. En grandissant, ses parents auront des difficultés à connaitre cet enfant qui s’exprime si peu. » Catherine Gueguen